Aux Ames Pionnières

Laissez faire les andouilles

 

 

Chapitre 33


CommE des glanDs

Chez Gras double les conversations se poursuivaient énergiquement.
À flots tendus.
Lefiltrant, qui s’interrogeait toujours sur la possibilité de rentrer à l’hôtel sans déroger à la règle numéro un, était parti enquêter sur la variété des chemins uniques, cherchant un moyen réglementaire d’accéder aux routes parallèles sans se faire remarquer. À moins qu’il ne soit allé acheter une pochette d’allumettes. Tout simplement. C’est une excuse qui en vaut une autre.

Peu après son départ, Poils aux bras arrêta sa partie de dominos et vint s'accouder sur le bar. Le garde-champêtre avait envie de s'épancher encore une fois sur sa nuit de galère dans les fourrés au service de la Nation qui ne faisait rien que dormir pendant qu’il se gelait les miches dans les ornières au milieu des ronces et des mulots. Et pour pas un rond. Compatissant, Gras double lui servit lui-même un grand verre et traça deux croix au tableau. Il fallait bien ça pour compenser l'effort surhumain qu'il venait de fournir. Puis il se servit un verre et alla aussitôt tracer deux autres croix. Rayonnant, il revint écouter les divagations de Poils aux bras qui continuait à parler à son verre. À part le chant d’amour du crapaud baveur et les conversations de Marcel qui parlait tout seul au milieu de la nuit, il n’avait rien relevé de suspect. Rien qui n’eût dépassé la moyenne autorisée à ces heures indues. De plus, son matériel ayant givré pendant la nuit, il n’en gardait aucune trace tangible. C’est Lampio, le maire, qui saurait apprécier. Le pauvre garde-champêtre en avait la gorge toute desséchée.

Entre deux tournées, Lulu vint vers eux pour relancer l'histoire de la fille à la décapotable et de sa virée « à la ville » avec le Marcel. À son avis, c’est elle qui lui avait tourné la tête. Au Marcel. Il faut toujours se méfier des femmes, elles sont faites pour vous empoisonner l’existence. Elles sont même capables de vous épouser dès que vous avez le dos tourné. Après c’est trop tard. C’était bien simple : à part sa mère, c’étaient toutes des filles des rues, ou des allumeuses qui vous mettent d’abord la tête à l’envers avant de vous mettre la main sur la figure. Sur ce point, les trois hommes étaient tous d'accord.
─ Si les bonnes femmes savaient à quel point elles nous font chier, éructa le gros, elles se suicideraient au saint marc vaisselle.

Les trois hommes approuvèrent en faisant cul sec pour arroser l'évidence. Mais pour Poils aux bras qui passait la majeure partie des jours ouvrables sous son casque dans les taillis, ainsi que la plupart de ses nuits, tout ça ne voulait pas dire grand-chose. Il n’était jamais au courant de rien. Il comprit que Marcel avait maintenant deux femmes : une régulière et une provisoire, une pour le manger et l’autre pour la promenade ; mais il ne savait plus laquelle des deux était la bonne. Il avait beau connaître Pépette depuis la communale, il se mélangeait singulièrement dans les jupons. Il avait déjà du mal à faire le rapprochement entre son nom et sa personne, alors pour lui la femme des autres, c’était du chinois. D’ailleurs Marcel pouvait bien avoir autant de femmes qu’il voulait, il s’en fichait royalement. Disons municipalement pour être exact. Le reste n’avait aucune importance. Pour le garde-champêtre, la femme idéale faisait dans les cent trente kilos, portait des bigoudis, un tablier à carreaux et le filet à provisions ; elle avait des bas couleur réglisse qui plissent aux chevilles, le menton qui pique et s’appelait Maman.

Ensuite, les propos dérapèrent sur le vol des salades. Pour les uns, Marcel était hors du coup. Il ne pouvait être à la fois au four et à l’hôtel, à la ville et au moulin. L’avait aut’chose à fout’ eul’Marcel avec sa secte et sa prêtresse, avec sa femme et sa maîtresse. On parlait même d’une idylle entre le touriste en robe dorée et la prêtresse du Marcel qu’avait pas encore compris que ces femmes-là ne se gênaient pas pour coucher à tous les râteliers.

Pour les autres, c’était pas si simple. On en connaissait qui trimait sec dans la journée, et qui le soir rentrait tranquillement dormir avec leur femme. Ni vu ni connu. On écarta également l’hypothèse d’un voleur de passage. Un inconnu au village était trop facilement repérable. Quant à Poils aux bras, il n’hésita pas à accuser Hector d’être le seul coupable possible. D’ailleurs ce s’rait pas la première fois qu’on aurait vu un assassin se tuer lui-même pour détourner l’attention sur un autre. Et empocher la prime, ni vu, ni connu, à la place des innocents. Si ça s’trouve, Hector avait monté sa propre milice à lui tout seul rien que pour l’éliminer et lui piquer sa place de garde-champêtre. C’était pas une preuve ça ? De l’avis général, fallait peut-être pas pousser le bouchon au-delà des bornes. Mais il n’était pas né celui qui voudrait se débarrasser de Poils aux bras. De son temps, on en avait fusillé pour moins que ça. Hector, qui venait de faire son entrée, n’apprécia guère l’allusion. Il menaça d’envoyer le garde-champêtre devant la cour martiale séance tenante s’il persistait dans la délation et l’ignominie. Il avait fallu toute la proéminence de Gras double et toute la diplomatie de Lulu pour éviter le bain de sang. Et si Léontine n’était pas intervenue au dernier moment pour calmer les esprits, le gros tas et son commis auraient fini, avec l’aide de la populace excédée, par raccompagner gentiment Hector et Poils aux bras jusque dans le caniveau.
La tête la première, avec tous leurs remerciements dans le derrière.

 
 
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