Aux Ames Pionnières

Laissez faire les andouilles

 

 

Chapitre 36


Ils sont faits les GaillaRds !

Le carillon de l’église égrena lentement les douze coups de minuit. Presque minuit dix. Peut-être même treize, voire quinze. À quelques deniers du culte près, le clocher donnait quasiment l’heure exacte. Disons qu’avec l’habitude, on pouvait se faire une idée approximative du temps qui peine et savoir à quoi s’en tenir. En attendant restauration. Quoiqu’il en soit, il était tard, peut-être même davantage.

La journée avait été maussade et le thermomètre avait sérieusement chuté. L’instant était encore plus sombre et il faisait encore plus froid. Quelques gouttes de pluie sortirent la nuit de son silence glacé. Au loin, on percevait un léger ronflement en provenance du cabanon d’Hector, ainsi qu’une pâle lueur vacillante dans l’obscurité. De faibles soupirs municipaux remontaient également du fossé qui longeait le petit chemin de terre. Chacun à leur manière, Hector et Poils aux bras veillaient sur les lieux du crime. En dormant à poings fermés comme deux nourrissons rassasiés. L’un grassouillet paisiblement dans sa remise, tandis que l’autre cuvait profondément dans le fossé. Le premier se rêvait à la tête du village, régnant sur des terres immenses où poussaient des légumes inviolables ; le second rêvait qu’il buvait, qu’il buvait encore et toujours pour ne pas oublier de continuer à boire et de se servir un autre verre. Dès le réveil.
Chacun a les songes qu’il peut.

Bref, personne ne remarqua l’arrivée du nouveau réverbère à la croisée des chemins. Un drôle de réverbère. Apparemment un réverbère de la Police nationale à en croire le sigle en grosses lettres noires sur fond blanc apposé à même le tronc, un réverbère derrière lequel se dissimulait méthodiquement l’inspecteur Lefiltrant. Seule la toile de son parapluie de faction, qui dépassait de part et d’autre du pylône, trahissait sa présence, tel un chéiroptère géant guettant sa proie dans l’ombre.

Un chat se faufila entre deux rangées de légumes quand une masse sombre pénétra dans le jardin d’Hector. La chose fit sauter les verrous de la clôture un à un avec la même dextérité que la première fois. C’était bien l’éventreur qui s’introduisait dans le jardin défendu. Il portait les mêmes petites lunettes à infrarouges, et le même gros sac à dos qui le faisait ressembler à un monstre de l’Apocalypse. Il se déplaçait comme un courant d’air, sans un bruit, ne laissant aucune trace de son passage. Quand la lune traversa les nuages, la bête immonde avait déjà disparu. La pluie avait cessé. Un silence inquiétant flottait maintenant dans la nuit noire. On entendit alors un petit rire aigrelet s’enfonçant dans les ténèbres. Hector, qui avait le sommeil léger, surgit alors de son cabanon.
—   Vengeance ! Mort au sanglier ! hurla-t-il en brandissant son falot.

Poils aux bras se réveilla en sursaut, avala un dernier coup de gnôle et se précipita vers le potager. Le chat miaula avant de disparaître sous la haie qui séparait les deux jardins. Il y eut ensuite quelques cris étranges, suivis d’un bruit sec et mat, puis plus rien. Derrière le réverbère, les membranes de la chauve-souris se replièrent instantanément sur elles-mêmes, et Lefiltrant se faufila discrètement dans la nuit. Il se glissa ainsi jusqu’au milieu du jardin d’Hector. Il faisait sombre. Pas un bruit pour le guider dans l’obscurité. Il tâtonna un moment dans l’ombre avec la pointe de son parapluie avant d’allumer sa lampe torche. Des gémissements sourds, s’élevant du sol, attirèrent son attention en direction d’un trou béant creusé à proximité des carrés de salades. Il s’approcha prudemment, en quinconce, à demi-incurvé derrière le faisceau de lumière artificielle. Au fond de la fosse, Hector et Poils aux bras, gisaient l’un sur l’autre, enchevêtrés, groggy et révolus comme un seul homme.
—   Ah mes gaillards ! Cette fois tu es fait ! ricana l’inspecteur au bout de sa torche.
Quelques lamentations obscures remontèrent jusqu’à la surface.
—   C’est bien ce que je pensais, conclut Lefiltrant. Ainsi tu es deux éventreurs. Mais pour tromper la criminelle, il faut davantage d’imagination.
Mon gaillard !

 
 
Accueil
tous les chapitres